Dans nos programmes de formation au travail d'équipe et au management, le sujet de la place du smartphone revient très souvent, avec son cortège de questions, de constats, de réflexions, de coups de gueule... Voici quelques pistes pour y voir plus clair.
Un outil de plus en plus puissant et polyvalent.
Le smartphone est devenu bien plus qu'un téléphone. Depuis longtemps il prend des photos, puis aussi des vidéos. Aujourd'hui il nous permet de consulter nos courriels, d'y répondre, d'en envoyer, de naviguer sur le web, de rester branché à l'information en continu, de consulter en direct nos caméras de surveillance. Mais aussi de superviser la qualité de notre sommeil, de contrôler le chauffage de notre logement ou la composition de notre alimentation... Bref, la liste des services et des possibilités ne cesse de s'allonger grâce à de nouvelles applications qui émergent chaque jour. Le smartphone est indiscutablement un outil de plus en plus puissant, qui nous permet de gagner du temps et de maîtriser de plus en plus de paramètres à distance.
Qui maîtrise l'autre ?
Mais le développement de toutes ces utilisations nous entraîne aussi, nous les utilisateurs, dans une spirale qui occulte précisément ces points : gagner en temps et en maîtrise. Ainsi le smartphone peut ne plus être le simple outil qui permet à son utilisateur de gagner : il peut devenir le maître. C'est lui qui nous maîtrise, que nous domine alors. Il nous impose une vie au rythme des notifications, alertes et nouveaux messages. Sans parler des informations futiles et inutiles qui certes nous distraient mais nous font perdre le fil et perdre finalement beaucoup de temps. Si l'outil est donc merveilleux, il doit rester un outil.
Addiction, vous avez dit addiction ?
Car le rapport à notre smartphone peut en effet devenir addictif. Et comme dans toute addiction, il y a une gestuelle : avoir les mains et le regard occupés, sinon nous avons la sensation de nous ennuyer. Et comme dans beaucoup d'addictions, il y a le déni: "mais non, je ne suis pas accro..." En analysant le journal des opérations sur certains smartphones, on a constaté jusqu'à 450 déblocages du clavier dans la journée : l'utilisateur a brandi et utilisé son téléphone plus de 450 fois ! Si ce n'est pas une addiction... Et quand nos proches nous font bien remarquer que nous sommes un peu trop scotchés à notre joujou, rien n'y fait ; nous allons même parfois nous abriter jusque dans les toilettes pour consulter. La chute du smartphone dans la cuvette est d'ailleurs chez les professionnels la première raison de dysfonctionnement de nos merveilleux outils ! Et gare, cette addiction nous guette tous, jeunes ou moins jeunes, aucune classe d'âge n'est à l'abri.
L'audience, toujours l'audience
Et comme dans toute addiction, il y a les addicts et ceux qui tirent les ficelles et s'enrichissent. Les media et éditeurs qui rivalisent d'attractivité pour nous garder captifs aux flux d'informations. Notre attention a un prix, elle se monnaie. Nous sommes du bétail, des pigeons marketing . Quand nous sommes accrochés malgré nous, que nous cherchons un argument pour en sortir, cet élément peut motiver nos efforts de sevrage : "je suis libre, je ne suis pas un robot".
Besoin primaire de déconnexion
Car oui, s'il y a addiction, il y a nécessité de reprendre sa liberté, de se prendre en main, de faire un effort pour reprendre le contrôle, pour réaliser que la vie est possible sans être sans cesse sur le qui-vive. Les expériences de sevrage "forcées" (perte, vol, absence de réseau, batterie épuisée) sont révélatrices de notre mal-être sans smartphone mais aussi de la libération que procure cette absence. C'est certain, nous avons besoin de moments de déconnexion. Un dessin humoristique ajoutait un étage primaire à la pyramide de Maslow intitulé "Wi-Fi". Nous pouvons ajouter l'étage "No Wi-Fi", ou le besoin de vivre un peu tranquille. Ré-apprenons à ne rien faire voire à nous ennuyer. Libérons-nous, quitte à nous discipliner en éteignant notre téléphone en soirée, en week-end ou en vacances, en le laissant sur notre bureau, en l'empêchant de rentrer dans notre chambre à coucher, en supprimant certaines applications trop chronophages ou addictives... Chacun sa méthode, pourvu que cela procure un peu de paix.
Notre relation aux autres
Le smartphone peut donc empoisonner notre propre vie et aussi celle de ceux qui nous entourent. En nous rendant moins disponibles, plus irritables quand nous nous sentons dérangés. Notre écran, et nos écrans en général, nous rendent moins humains, nous coupent des autres. On ne se regarde plus, on ne se sourit plus. Qui n'a jamais levé le nez au restaurant, dans le train ou le métro pour réaliser qu'il est le seul à ne pas être sur son écran ? Dans le monde du travail, combien de managers trouvent du temps pour consulter leur smartphone mais ne trouvent plus le temps de communiquer avec leur équipe ? Combien de comportements non exemplaires relevés chez des managers concernant l'usage du smartphone ? Combien de managers qui mettent trop de pression sur leurs subordonnées via le merveilleux outil ? Qui n'a jamais surpris un collègue faisant autre chose sur son téléphone lors d'une réunion ? Notre légitimité au travail, en tant que collègue et a fortiori en tant que manager peut s'effondrer, brisée par notre écran. Nous donnons tous un exemple, autant qu'il soit bon. Et bien entendu, si nous sommes parents, faisons-nous en sorte que le téléphone ne nous coupe pas de nos enfants, comment leur montrer par l'exemple qu'on peut aussi vivre sans ?
Adaptation et règlement intérieur
Dans de nombreuses entreprises, le règlement intérieur est appelé à s'adapter à ces usages immodérés du smartphone qui peuvent nuire à la productivité mais aussi à la sécurité et à l'ambiance au sein des équipes. Interdire son usage dans certaines zones ou à certains horaires. "Et si mon fils est malade à l'école ? - Et bien on nous joint sur le téléphone fixe du travail, comme avant. - Ah, oui, c'est vrai..." Symptomatique réponse de l'oubli qu'il y a eu une époque possible sans. Autre mode : une corbeille à l'entrée d'une salle de réunion où l'on dépose son téléphone avant de commencer... Autant de nouvelles règles et pratiques à inventer pour s'adapter à cet ami envahissant et le garder à sa place. Alors, chez nous, au travail, à la maison, quelles règles, quelle discipline individuelle et collective ?
En synthèse : disciplinons-nous et maîtrisons l'outil, sinon c'est l'inverse qui se produit ! Notre smartphone est un outil merveilleux qui peut nous faire gagner du temps, de la maîtrise, peut sauver des vies, changer nos vies… mais que ces changements soient en mieux. Nous vivons entourés d'un flux d'informations. Comme dans un tsunami, ceux qui échappent aux flots sont ceux qui prennent de la hauteur, pour éviter de se noyer. Que nous restions maîtres du jeu, que nous demeurions libres et humains !
Aymeric BOUTHEON, dirigeant de H Conseil